Anthology I — Français
I
mais à la nuit d’hui la lune n’est plus en phase
son croissant, les lentes floraisons de son miroir blâfard
je m’y attelle du regard et elle ne touche plus
son sommet, l’étoile polaire se tient seule dans le ciel bâtard
elle s’éloigne, l’horizon la tire vers l’abîme sans couleur,
déduke mèn a selánna — au loin le soleil
se cache derrière et les pléiades s’endorment
ses étoiles se taisent et l’accord perd sa quinte
bételgeuse est en mode mineur, la voûte s’élève céleste
s’est éclipsée, le sommeil blanc me réveille, j’erre dans l’eigengrau,
je fais de la lumière dans le noir et me retrouve seul soleil dans le cosmos
froid, éteint, je les ai fait fuir, les astres d’autrefois,
les flèches des sagittaires et l’équilibre des balances ont fui ma cosmologie
et lentement l’horizon de mon orbite décline
II
le précipice t’appelle
espoir, tu es le saut, le grand voyage dans les limbes sans fond dont
la chute ne se finit jamais, la conviction brumeuse et les vagues arêtes sous laudanum
et autres fleurs qui enivrent de noir, j’étais dans le gouffre comme un flocon de neige
fleur de pomme fanée qui lentement tombe, dans les courants
d’une couche d’air, les crevasses, les longs couloirs qui habitent
la falaise est comme un hôtel, ses longs couloirs identiques, des éclats
lumières qui se perdent dans l’abîme, des nuits enveloppées de parachutes
pour tamiser notre chute et le soleil à travers les nuages,
la soirée se fait plutôt cachée, secrète, oubliable
et oubliée diligemment, je descends, la pierre luit
opalescente je reflète des couleurs d’autres mondes,
qu’on ne demande pas que je revienne, les racines s’arrêtent ici
et la pierre n’est plus fissurée que par les derniers mots
à l’intonation étale, la marée de tes lèvres arrive à son niveau
tu descends toujours, les abîmes n’ont plus de plancher
où les os de la baleine en cathédrale envoutée t’accueilleraient
tu te déposerais au sol et tu pourrais sommeiller
sans plus attendre la fin de la chute, le vent qui es-tu, descendant des soupirs
tu défeuilles les arbres, la paroi chante et le croissant de lune
se fait aigu, le ciel est un fragment, brisé comme le mur du son
dans un espace sans air ou une vitre de sucre qui fond à la pluie; qui respire ici? quels spores
et quelles racines se sont aventurés si profond et pourtant
si près encore de la grande embouchure du ravin? tu vois ceux qui ne sont plus là
tes mèches qui aspirent au ciel te les montrent
quant trop loin d’eux tu as chuté et les embruns poncent ta peau
et tu te sens attiré, tu ne sais plus voler
tes plumes se sont envolées comme par le vent
III
ciel opaque
carapace et cornes, hérissée de lampadaires qui te courent en
tiges d’aubépine et en ronces
ciel qui se délave à force d’invisible
les flaques de pluie sont plus sombres que la nuit
voûte brune qui nous garde des étoiles
que t’ont-elles fait? la lune s’aperçoit à peine dans les patinoires
l’albédo ne lui montre plus son reflet et elle se perd
dans les longs nuages mauves et la brume d’une soirée
mon ciel est parfumé de l’amnésie des anxiolyriques
les lampadaires sont la muraille aux étoiles
les rêves nous ont emporté trop loin de l’estuaire
et les courants marins ont emporté les dernières étoiles
qui nous montraient le nord, l’étoile
bipolaire a épuisé sa flamme
et chancelle
je ne remarque plus le ciel
VII
autrefois encore quand les lumières descendaient
comme des œillets, le croissant de lune poinçon
les élégies, les louanges, que la terre reflétait
il en tissait feu par feu les constellations
mais le ciel est resté trop longtemps au soleil
les étés fiévreux l’ont difformé, il convexe se voile
le miroir se déforme à l’horizon vermeil,
les étoiles se décrochent, les replis d’une toile
dans sa face je ne vois plus les dessins
des astres, l’image qu’il me renvoie est
chancellant—incomplet
l(ac)unaire
IX les hypocryptes déserts
les flaques
noires, filles de la nuit et
du bitume, et des nuages qui les séparent
un pétrichor étranger, du vent et
des racines des platanes rachitiques
et les pieds, les dalles illuminées
de reflets jaunâtres — le jour
semble condensé, sirupeux,
anti-encre coulant de la pointe fine des ampoules
comme des soleils propulsés
loin au-delà du sublunaire, aspirés par le vide
mis en bouteille
les figures qui hérissent le sol
l’ombre de leurs franges, de leurs parapluies
à présent découpe leurs visages comme
la lune un croissant, nette, une part de jour
et une autre de nuit, menaçante, surplombante
les boucliers un peu tardifs marquent les personnages
loin de la pluie
et de la nuit vraiment
ils enferment en eux comme une géode
de soleil, de beau temps encapsulé
et au-dessus, loin, là-haut, sur les toits,
le jour des lampadaires semble bien
bien loin, les yeux noirs se retrouvent
loin des fauves modesties des lampadaires
hypocryptes, seules certaines étoiles, quelques soleils,
et là lune — mes pupilles s’élargissent,
ombragent mes iris comme la terre et la lune
X
à force d’être équilibriste ma peau s’est fendue
comme si une lame l’avait scindée
et au travers de la plaie béante, du
passe-corps, de l’air à ma chair, je suinte d’une lymphe éthérée
mon sang s’est noirci, c’est ma poisseuse mélancolie
qui pervertit, qui rend mon sang aigri, qui le fait tourner
mes soucis fleurissent à ma peau comme des ancolies
chamarées, comme si mon derme était un assemblage détourné
de papiers d’arménie et de tapisseries,
de restes de monogrammes et de douces poésies
et quand j’avance de trop elles se dispersent en grains de pissenlit
comme mes soucis
qui s’en vont polliniser un autre sol
et faire monter en graines, en graminées
des souvenirs, des manques, ce qui fait pleurer les saules
les haines et les peurs d’autrefois ranimées
à force de me balancer sur ce fil de lin
je me suis écorché, j’ai perdu mes écailles
et les voiles qui me portait au plus loin des vents veufs et orphelins
puis le lien s’est effilé, comme un pont aux fresques qui s’écaillent
ce pont qui me tenait au-dessus des sables mouvants,
de la grande chute, cet équilibre que j’avais entre vie et mort,
cette course pour échapper au passé, au vécu trop émouvant,
et au ravin du présent et ses sycomores
tortueux qui portent les bourgeons de mes prochains remords