Anthology I — Français

Casimir Laird-Berrard
5 min readMar 26, 2021

I

mais à la nuit d’hui la lune n’est plus en phase

son croissant, les lentes floraisons de son miroir blâfard

je m’y attelle du regard et elle ne touche plus

son sommet, l’étoile polaire se tient seule dans le ciel bâtard

elle s’éloigne, l’horizon la tire vers l’abîme sans couleur,

déduke mèn a selánna — au loin le soleil

se cache derrière et les pléiades s’endorment

ses étoiles se taisent et l’accord perd sa quinte

bételgeuse est en mode mineur, la voûte s’élève céleste

s’est éclipsée, le sommeil blanc me réveille, j’erre dans l’eigengrau,

je fais de la lumière dans le noir et me retrouve seul soleil dans le cosmos

froid, éteint, je les ai fait fuir, les astres d’autrefois,

les flèches des sagittaires et l’équilibre des balances ont fui ma cosmologie

et lentement l’horizon de mon orbite décline

II

le précipice t’appelle

espoir, tu es le saut, le grand voyage dans les limbes sans fond dont

la chute ne se finit jamais, la conviction brumeuse et les vagues arêtes sous laudanum

et autres fleurs qui enivrent de noir, j’étais dans le gouffre comme un flocon de neige

fleur de pomme fanée qui lentement tombe, dans les courants

d’une couche d’air, les crevasses, les longs couloirs qui habitent

la falaise est comme un hôtel, ses longs couloirs identiques, des éclats

lumières qui se perdent dans l’abîme, des nuits enveloppées de parachutes

pour tamiser notre chute et le soleil à travers les nuages,

la soirée se fait plutôt cachée, secrète, oubliable

et oubliée diligemment, je descends, la pierre luit

opalescente je reflète des couleurs d’autres mondes,

qu’on ne demande pas que je revienne, les racines s’arrêtent ici

et la pierre n’est plus fissurée que par les derniers mots

à l’intonation étale, la marée de tes lèvres arrive à son niveau

tu descends toujours, les abîmes n’ont plus de plancher

où les os de la baleine en cathédrale envoutée t’accueilleraient

tu te déposerais au sol et tu pourrais sommeiller

sans plus attendre la fin de la chute, le vent qui es-tu, descendant des soupirs

tu défeuilles les arbres, la paroi chante et le croissant de lune

se fait aigu, le ciel est un fragment, brisé comme le mur du son

dans un espace sans air ou une vitre de sucre qui fond à la pluie; qui respire ici? quels spores

et quelles racines se sont aventurés si profond et pourtant

si près encore de la grande embouchure du ravin? tu vois ceux qui ne sont plus là

tes mèches qui aspirent au ciel te les montrent

quant trop loin d’eux tu as chuté et les embruns poncent ta peau

et tu te sens attiré, tu ne sais plus voler

tes plumes se sont envolées comme par le vent

III

ciel opaque

carapace et cornes, hérissée de lampadaires qui te courent en

tiges d’aubépine et en ronces

ciel qui se délave à force d’invisible

les flaques de pluie sont plus sombres que la nuit

voûte brune qui nous garde des étoiles

que t’ont-elles fait? la lune s’aperçoit à peine dans les patinoires

l’albédo ne lui montre plus son reflet et elle se perd

dans les longs nuages mauves et la brume d’une soirée

mon ciel est parfumé de l’amnésie des anxiolyriques

les lampadaires sont la muraille aux étoiles

les rêves nous ont emporté trop loin de l’estuaire

et les courants marins ont emporté les dernières étoiles

qui nous montraient le nord, l’étoile

bipolaire a épuisé sa flamme

et chancelle

je ne remarque plus le ciel

VII

autrefois encore quand les lumières descendaient

comme des œillets, le croissant de lune poinçon

les élégies, les louanges, que la terre reflétait

il en tissait feu par feu les constellations

mais le ciel est resté trop longtemps au soleil

les étés fiévreux l’ont difformé, il convexe se voile

le miroir se déforme à l’horizon vermeil,

les étoiles se décrochent, les replis d’une toile

dans sa face je ne vois plus les dessins

des astres, l’image qu’il me renvoie est

chancellant—incomplet

l(ac)unaire

IX les hypocryptes déserts

les flaques

noires, filles de la nuit et

du bitume, et des nuages qui les séparent

un pétrichor étranger, du vent et

des racines des platanes rachitiques

et les pieds, les dalles illuminées

de reflets jaunâtres — le jour

semble condensé, sirupeux,

anti-encre coulant de la pointe fine des ampoules

comme des soleils propulsés

loin au-delà du sublunaire, aspirés par le vide

mis en bouteille

les figures qui hérissent le sol

l’ombre de leurs franges, de leurs parapluies

à présent découpe leurs visages comme

la lune un croissant, nette, une part de jour

et une autre de nuit, menaçante, surplombante

les boucliers un peu tardifs marquent les personnages

loin de la pluie

et de la nuit vraiment

ils enferment en eux comme une géode

de soleil, de beau temps encapsulé

et au-dessus, loin, là-haut, sur les toits,

le jour des lampadaires semble bien

bien loin, les yeux noirs se retrouvent

loin des fauves modesties des lampadaires

hypocryptes, seules certaines étoiles, quelques soleils,

et là lune — mes pupilles s’élargissent,

ombragent mes iris comme la terre et la lune

X

à force d’être équilibriste ma peau s’est fendue

comme si une lame l’avait scindée

et au travers de la plaie béante, du

passe-corps, de l’air à ma chair, je suinte d’une lymphe éthérée

mon sang s’est noirci, c’est ma poisseuse mélancolie

qui pervertit, qui rend mon sang aigri, qui le fait tourner

mes soucis fleurissent à ma peau comme des ancolies

chamarées, comme si mon derme était un assemblage détourné

de papiers d’arménie et de tapisseries,

de restes de monogrammes et de douces poésies

et quand j’avance de trop elles se dispersent en grains de pissenlit

comme mes soucis

qui s’en vont polliniser un autre sol

et faire monter en graines, en graminées

des souvenirs, des manques, ce qui fait pleurer les saules

les haines et les peurs d’autrefois ranimées

à force de me balancer sur ce fil de lin

je me suis écorché, j’ai perdu mes écailles

et les voiles qui me portait au plus loin des vents veufs et orphelins

puis le lien s’est effilé, comme un pont aux fresques qui s’écaillent

ce pont qui me tenait au-dessus des sables mouvants,

de la grande chute, cet équilibre que j’avais entre vie et mort,

cette course pour échapper au passé, au vécu trop émouvant,

et au ravin du présent et ses sycomores

tortueux qui portent les bourgeons de mes prochains remords

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Casimir Laird-Berrard

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